Évaluer l’impact de la communication pour le changement social ™ sur les réponses communautaires aux maladies tropicales négligées au Sahel
Par Pierre-Noël Denieuil, Abdoulaye Guindo, Dominique Thaly Consultants, Communication for Social Change™ Consortium
Cet article résume l’évaluation des effets des activités de communication pour le changement comportemental et social réalisées par le projet Paludisme et maladies tropicales négligées au Sahel. Ce projet, qui couvre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est mis en œuvre par l’OOAS (Organisation Ouest-Africaine de la CEDEAO), sur financement de la Banque Mondiale.
L’objectif de l’étude, réalisée par le Consortium de la Communication pour le Changement social (CFSC), était d’évaluer dans quelle mesure les activités de communication ont contribué à l’acceptation individuelle et collective des traitements et médicaments préventifs et curatifs du paludisme et des maladies tropicales négligées proposés aux populations concernées et aux acteurs sanitaires locaux, régionaux et nationaux. L’évaluation s’est faite à travers une revue de la littérature et des documents du projet, une enquête qualitative et une enquête quantitative. Le modèle théorique utilisé était le modèle des déterminants comportementaux développés par UNICEF (2019) pour la mesure des effets de communication pour le changement comportemental et social.
Les résultats de l’étude ont montré que l’intention comportementale pour la prise des médicaments préventifs est très élevée dans les trois pays. Plusieurs déterminants comportementaux et sociaux ont joué des rôles majeurs dans l’atteinte des objectifs de l’étude. Il y a tout d’abord la réduction des barrières structurelles (disponibilité, accessibilité et qualité des services – gratuité, efficacité perçue, distribution en porte-à-porte ou à l’école, confiance dans des prestataires de service proactifs, disponibilité des fonds et reconnaissance par les autorités gouvernementales). On note aussi les déterminants psychologiques et sociologiques tel que l’intérêt de l’individu eu égard aux risques et aux effets secondaires, attitude des bénéficiaires vis-à-vis des traitements proposés, auto-efficacité des personnes dans la prise de médicaments, influences de genre lorsque le mari doit ‘autoriser’ préalablement sa femme à donner un médicament à ses enfants, ou encore stigmatisation sociale de certaines formes morbides. On compte enfin les dynamiques communautaires et l’environnement communicationnel tel que l’appropriation, la coordination et la participation de la communauté à travers un leadership de qualité et l’auto-efficacité collective, notamment pour gérer l’ensemble des effets secondaires, la disponibilité d’informations factuelles et scientifiques à travers les médias et le matériel proposé, puis pour faire face aux rumeurs.
This article is a summary of the research study on the impact of behavioral and social change communication activities addressing malaria and neglected tropical diseases in the Sahel region of West Africa. The research was conducted in Burkina Faso, Mali and Niger, and funded by the West African Health Organization (WAHO), a recipient of World Bank support.
The purpose of the study, managed by the Communication for Social Change Consortium (CFSC Consortium), was to assess the extent to which communication activities contributed to individual and community-level acceptance of prevention efforts and medical treatments. The research included a litterature review of existing data and project documents, plus new qualitative and quantitative surveys at community levels in the three countries.The researchers used a Behaviorial Déterminants Model developed by UNICEF in 2019 to assess behaviors and social change.
Study results revealed that the intended behaviors – that community members adopt prevention measures and take prophylactic medicines and vaccines — were very high in all three countries. Several behavioral and social determinants appear to be key contributors to the results: structural barriers were reduced. Such barriers include availability and accessibility of patients, quality and cost of services , perceived inefficiency of prevention measures, distribution methods, trust in service providers, availability of funds, and recognition and support of government authorities.In addition, there were psychological and sociological determinants, such as an individual’s concern about risks and side effects, attitudes and beliefs about proposed treatments, self-efficacy in taking medication, gender roles and influencers within households, plus social stigma connected with certain diseases. Other societal déterminants include, community dynamics, the communication environment, perceived community ownership of the health care processes, grassroots participation, leadership and collective self-efficacy in managing side effects, , finally, how rumors and misstatements of fact were handled.
This article is a summary of the research study on the impact of behavioral and social change communication activities addressing malaria and neglected tropical diseases in the Sahel region of West Africa. The research was conducted in Burkina Faso, Mali and Niger, and funded by the West African Health Organization (WAHO), a recipient of World Bank support.
The purpose of the study, managed by the Communication for Social Change Consortium (CFSC Consortium), was to assess the extent to which communication activities contributed to individual and community-level acceptance of prevention efforts and medical treatments. The research included a litterature review of existing data and project documents, plus new qualitative and quantitative surveys at community levels in the three countries.The researchers used a Behaviorial Déterminants Model developed by UNICEF in 2019 to assess behaviors and social change.
Study results revealed that the intended behaviors – that community members adopt prevention measures and take prophylactic medicines and vaccines — were very high in all three countries. Several behavioral and social determinants appear to be key contributors to the results: structural barriers were reduced. Such barriers include availability and accessibility of patients, quality and cost of services , perceived inefficiency of prevention measures, distribution methods, trust in service providers, availability of funds, and recognition and support of government authorities.In addition, there were psychological and sociological determinants, such as an individual’s concern about risks and side effects, attitudes and beliefs about proposed treatments, self-efficacy in taking medication, gender roles and influencers within households, plus social stigma connected with certain diseases. Other societal déterminants include, community dynamics, the communication environment, perceived community ownership of the health care processes, grassroots participation, leadership and collective self-efficacy in managing side effects, , finally, how rumors and misstatements of fact were handled.
Le paludisme et les « maladies Tropicales Négligées (MTN) » constituent un problème majeur de santé publique dans le monde, comme le démontrent les statistiques issues des études épidémiologiques et de santé publique. Entre 2010 et 2018, environ 228 millions de personnes ont été atteintes de paludisme parmi lesquelles 405 000 personnes en sont décédées (OMS, 2020) [1]. Ce fardeau est particulièrement lourd pour l’Afrique au sud du Sahara qui à elle seule représente 93% de tous les cas de paludisme et 94% de tous les décès (OMS, 2020) [1]. S’agissant des trois pays d’intervention du projet (Burkina Faso, Mali et Niger), l’incidence du paludisme, à savoir le nombre de cas de paludisme pour 1 000 personnes exposées au risque, était respectivement de 399, 387 et 356 en 2018 (OMS, 2020) [1]. Ce qui fait de cette maladie la première cause de morbidité et de mortalité dans les groupes les plus vulnérables, c’est-à-dire les femmes enceintes et enfants de moins de cinq ans dans ces pays. En ce qui concerne les MTN, selon P Aubry et B-A Gaüzère (2020) [2], plus d’un milliard de personnes dans le monde souffre d’une ou de plusieurs. Outre cette similarité de prévalence, le paludisme et les MTN ont un impact négatif sur le développement. Pour ne prendre qu’un exemple, des calculs macro-économiques ont permis de montrer que le paludisme fait perdre à l’économie des pays en développement, un à deux points de croissance de leur PIB (Produit Intérieur Brut) Datta et Reimer, 2013) [3]. De fait, ces pathologies augmentent la pauvreté et contribuent à creuser d’avantage le fossé entre les pays développés et ceux en développement.
En termes de problèmes de santé publique, si ces pathologies ont des similitudes, il y a un écart en matière de connaissances, attitudes et pratiques des populations, liées à la perception que ces dernières se font d’elles. En effet, les populations sont davantage sensibilisées à un ensemble de maladie infectieuse telle que le paludisme contre laquelle œuvrent de nombreuses organisations locales et internationales. Une vision étriquée de la santé publique, historiquement construite par le biais de rapports coloniaux à l’Afrique, a contribué à construire une faible visibilité des MTN. Or, la communication est une composante importante dans la lutte contre ces fléaux. En effet, depuis quelques années, l’OMS préconise de recourir à la chimio-prévention (CP) pour combattre cinq MTN (la filariose lymphatique, l’onchocercose, la schistosomiase, les géo-helminthiases, et le trachome) (Aubry et Gaüzère, 2020) [2] et le paludisme saisonnier. L’administration Médicamenteuses de Masse (AMM) est la composante clé de cette stratégie. Nous émettons l’hypothèse que si les populations pensent que les médicaments ne sont pas efficaces, le service fourni n’aura pas d’impact positif. Dans cette dynamique, il serait bien, tout d’abord, de comprendre les populations et leurs comportements. Et ensuite, voir comment elles peuvent être influencées. Ces deux préalables constituent la clé de voûte pour mettre en place des programmes réussis qui prolongent leurs effets bien après que l’intervention directe aura pris fin (OMS, 2002) [4]. La démarche de la Banque Mondiale, consiste à prendre en compte l’aspect communicationnel dans la lutte contre le paludisme et les MTN au niveau communautaire. Mais pour vérifier que cette stratégie est bien efficace et efficiente, des évaluations de projets sont nécessaires. C’est l’objet de cet article qui rend compte des résultats de l’évaluation des activités de communication pour un changement de comportement, de mobilisation de la communauté et de la satisfaction des bénéficiaires dans la zone du projet, conduite par l’équipe du CFSC (Consortium de la communication pour le changement social).1 Nous décrirons quelques-unes de ces activités et en donnerons la mesure sur le terrain, nous nous attacherons aussi à apprécier la satisfaction des bénéficiaires et les facteurs qui lui sont afférents. Au terme de cette mesure d’effets, nous évoquerons les perspectives et préconisations à partir de l’identification de quelques « bonnes pratiques » majeures.
Cet article a été sollicité dans le cadre du projet P/MTN (Paludisme et maladies tropicales négligées au Sahel). Ce projet, qui couvre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est mis en œuvre par l’OOAS (Organisation Ouest-Africaine de la Santé de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest / CEDEAO) sur financement de la Banque Mondiale entre 2017 et 2020. Il vise à accroître l’accès et l’utilisation des services à base communautaire harmonisés pour la prévention et le traitement du paludisme et de cinq maladies tropicales négligées dans les zones transfrontalières des pays bénéficiaires. Ces services englobent la chimio-prévention saisonnière (CPS) du paludisme, la prévention par la distribution médicamenteuse de masse (DMM), l’accès au test de diagnostic rapide (TDR) du paludisme et le traitement des formes morbides de certaines maladies tropicales négligées. A cet effet, des plans de communication ont été élaborés dans les trois pays concernés, avec pour objectif l’acceptation individuelle et collective des traitements et médicaments préventifs et curatifs. Ce projet a ainsi couvert 56 districts sanitaires dont 20 au Burkina Faso, 19 au Mali et 17 au Niger. Les bénéficiaires en ont été l’ensemble de la communauté, les enfants âgés de 3 à 59 mois pour la CPS, les enfants d’âge scolaire, jeunes et adultes vivant dans les zones rurales frontalières endémiques avec accès limité aux services de santé des campagnes de distribution des médicaments contre les MTN, et les personnes des zones endémiques présentant des complications réversibles des MTN.
Pour mettre en œuvre une évaluation participative, trois volets ont été investigués : une revue de la littérature et des documents du projet, une enquête qualitative et une enquête quantitative (comprenant une enquête ménages et une composante « enquête de satisfaction »). L’approche participative est ici définie comme un ensemble de principes et de processus d’engagement des différentes parties prenantes dans l’évaluation d’un projet. Les communautés doivent y être des intervenants actifs et pas seulement des sources d’information. Les enquêteurs et chercheurs deviennent alors des facilitateurs et des accompagnateurs beaucoup plus que des experts collecteurs et dépositaires d’un savoir. Ils ont à ce titre eu la tâche d’identifier les indicateurs du changement (de connaissances, d’acceptation sociale), ressentis par les parties prenantes suite à la mise en œuvre du projet et à ses actions de communication. L’ensemble de ce matériau a été analysé sous forme d’unités de sens. Cela a induit de baliser les indicateurs récurrents de l’enquête quantitative et d’affiner son organisation. L’étude a combiné une revue de documents et une collecte de données (méthodes quantitatives et qualitatives) auprès d’un échantillon aux niveaux national, district et communautaire correspondant respectivement aux niveaux macro, méso et micro.
La démarche théorique a été structurée autour de l’approche du modèle des déterminants comportementaux telle que développée par l’UNICEF (Petit, V., BDM 2019) [5] pour la mesure des résultats de la communication pour le changement comportemental et social. Les évidences montrent que fournir aux individus les bonnes informations se traduit rarement automatiquement par un choix optimal. Les gens sont sensibles et influencés par leur environnement et par les personnes qui leur sont proches et leur entourage. Par conséquent, les stratégies et les interventions de communication pour le changement social et comportemental qui se concentrent simplement sur l’amélioration des connaissances et de la sensibilisation du participant à certaines pratiques ont tendance à ne pas être efficaces si elles ne sont pas complétées par d’autres interventions.
Le BDM (BDM – Behavioral Drivers Model en anglais, Petit (2019) [5]) réunit les multiples perspectives sur les théories et les modèles de prise de décision et de comportement, et va au-delà des traditionnelles études sur les connaissances, attitudes et pratiques (CAP) qui servent habituellement de base pour l’évaluation des activités de communication pour le changement de comportement. Le BDM commence par poser la question fondamentale : Pourquoi les gens font-ils ce qu’ils font ? Selon ce modèle, les déterminants comportementaux se répartissent en trois grandes catégories : les déterminants psychologiques, qui rassemblent les déterminants cognitifs et émotionnels individuels ; les déterminants psychologiques, pour les déterminants liés aux interactions au sein des familles, des communautés, des groupes et de la société dans son ensemble ; et les déterminants liés aux contexte ou environnementaux, pour les éléments structurels tels que les institutions, les politiques, les systèmes et services, les infrastructures, l’information, etc.
La démarche a consisté à identifier les déterminants les plus impactants et à même de contribuer à une intention comportementale forte, elle-même la dernière étape avant le changement de comportement, selon le modèle trans-théorique du comportement de Prochaska et DiClemente (1992) [7].
La population d’étude se répartit en cinq catégories : 1. Les acteurs micro-primaires, c’est-à-dire ceux dont on attend le changement de comportement (bénéficiaires, jeunes enfants, pères et mères…). 2. Les acteurs micro-secondaires, dont on attend aussi un changement de comportement et qui ont un pouvoir d’influence sur les premiers (entourage familial direct, enfants scolarisés et jeunes adultes…) 3. Les acteurs micro-tertiaires, chez qui il est attendu une aptitude à influencer le groupe et la communauté (leaders locaux, relais communautaires, distributeurs…). 4. Les acteurs méso, situés dans la sphère de la mise en œuvre et qui ont une responsabilité dans la mise à disposition, la qualité et l’adaptation des services (associatifs, acteurs locaux et régionaux, professionnels de santé…). 5. Les acteurs macro, c’est-à-dire ceux qui légifèrent sur le cadre global et les rapports inter pays, et qui allouent les budgets (décideurs, ministères, organisations internationales…).
La recherche en communication pour le développement construit ses échantillons de manière systémique, dans une population représentative de l’ensemble des citoyens, et sur la base de la parité hommes/femmes.
C’est sur cette base que 15 districts ont été visités. 688 entretiens individuels approfondis ont été conduits, soit 315 en qualitatif et 373 en quantitatif. 94 focus group discussions ont été organisés. 1 604 ménages ont été ciblés. Le total des personnes enquêtées s’élève à 3 030 personnes, dont 1 965 femmes et 1 065 hommes. Notons à ce propos qu’aucun jeune homme de la tranche des 15-24 ans n’a participé à l’enquête ménage au Mali et au Niger, et que finalement, les hommes sont peu nombreux à avoir participé à l’enquête ménage dans ces deux pays : 23 au Niger et 26 au Mali, la plupart âgés de 45 ans et plus. L’étude a aussi interrogé 212 relais et distributeurs communautaires, 134 leaders communautaires ou décideurs locaux et une trentaine de points focaux et médecins chefs aux niveaux micro et méso. Les relais et distributeurs communautaires sont répartis en nombre relativement égal entre hommes et femmes. Les femmes relais et distributeurs communautaires sont plus nombreuses au Burkina Faso et au Mali que leurs collègues masculins, tandis qu’au Niger, les hommes sont plus nombreux. Les leaders communautaires et décideurs locaux ainsi que le personnel de santé interrogés sont majoritairement de sexe masculin. Précisons enfin que le niveau d’étude des ménages est généralement précaire et informel, alors que celui des distributeurs communautaires oscille entre le primaire et le secondaire non achevé.
L’étude a été réalisée avec l’accord des autorités sanitaires des pays concernés et des personnes interrogées ayant signé chacun un consentement éclairé. Les protocoles du consortium de communication pour le changement social (CFSC) ont fait l’objet d’une approbation par l’OOAS.
Les préoccupations communes aux deux volets de l’enquête ont été relatives à la disponibilité des enquêtés, aux distances à parcourir, à l’impraticabilité de certaines routes et aux questions sécuritaires et sanitaires. L’une des difficultés de fond tient au fait que le projet P/MTN n’était pas le seul à mener les activités de communication sur la prévention et le traitement du paludisme et des maladies tropicales négligées. Il en découle que tous les résultats ne peuvent être attribués au projet évalué. A ce titre, il convient de relativiser le degré de connaissance du projet par les différents acteurs, surtout mentionné à travers sa distribution médicamenteuse de masse par laquelle il est plus connu. Le projet n’est pas le seul à intervenir sur les sites dans le cadre de la lutte contre le paludisme et les maladies tropicales négligées. On enregistre en effet plusieurs interventions extérieures menées par une variété d’organismes et agences internationales.
De ce fait, les communautés et certains responsables confondent alors souvent les interventions et les intervenants:
« Pour être francs, nous ne savons pas quel est le projet qui porte la distribution des médicaments mais nous connaissons les maladies et les traitements contre ces maladies… Avant chaque distribution, la radio diffuse les annonces plusieurs fois par jour de telle sorte que tout le monde soit au courant… » (Un participant, FGD hommes, Mali).
Si l’activité de distribution des médicaments reste l’activité du projet la plus citée, suivent très vite les caravanes de sensibilisation sur les MTN (surtout au Niger et au Burkina Faso, pour environ 1/3 des répondants), puis la diffusion des messages d’information et éducatifs sur les chaînes de télévision et les radios (15% au niveau régional, 1/3 des répondants au Mali). Parallèlement aux activités rappelées, les ménages s’en réfèrent à leurs principaux canaux d’informations et de conseils : la radio (45,86%), les agents de santé / ASBC (39,20%), et les relais communautaires (37,52%). Ensuite viennent le chef du village et le gongonneur (crieur public), avec respectivement 16 et 19%. Et enfin la télévision avec 13% des réponses. A noter toutefois que la radio vient loin en-tête au Mali, avec près de 70% des répondants la mentionnant comme principale source d’information, et l’agent de santé/l’ASBC au Burkina Faso avec 56,15%. La télévision n’est mentionnée que par 4,95% des répondants au Niger. Il en ressort que la plupart de ces canaux d’information (agent de santé, relais communautaire et chef de village, crieur public, communication radio) relèvent de l’interpersonnel hiérarchisé (par différence avec l’interpersonnel informel des réunions communautaires), somme toute, de la culture orale et d’une moindre importance accordée aux écrits ou même aux affichages. Par contre les diffusions de films au niveau communautaire ont été beaucoup citées comme étant des moyens très sûrs pour sensibiliser et éveiller l’intérêt des populations:
« Le film projeté a éveillé notre attention sur la gravité du paludisme et l’éléphantiasis et l’hydrocèle. Nous avions ainsi tiré des leçons pratiques au travers de cette projection » (Femme leader, Medine, Koutiala. Selon le DTC du CSCom de cette ville qui a eu l’initiative:
« Les gens qui ont suivi ce film sont allés informer leurs connaissances sur la gravité de ces maladies et les moyens de lutte. Les parents prennent alors conscience de la nécessité de veiller sur les enfants, de les protéger contre ce mal. Cela a même eu des échos dans les écoles. Il y avait des enfants qui ignoraient beaucoup de choses sur ces maladies mais je crois qu’aujourd’hui, il y a eu un grand changement ». (DTC, CSCom Medine, Koutiala, Mali).
Toutefois, ces films ne semblent pas retenir l’attention des ménages qui y sont culturellement peu exposés. Les ménages estiment toutefois que le projet a contribué à améliorer leurs connaissances sur les maladies : pour 80,5% des ménages, il a beaucoup contribué à mieux connaitre le paludisme, et pour 67% sur les MTN. Il leur a aussi permis de bénéficier de conseils d’hygiène : 95% des ménages ont retenu la nécessité de dormir sous une moustiquaire imprégnée, 66% ont plébiscité la prise des médicaments lors des distributions de masse, et 62% ont insisté sur la nécessité de se laver régulièrement les mains avec du savon et de l’eau. C’est au Burkina Faso (83%) et au Niger (79%) que la prise de médicaments de masse a été la plus souvent citée, contre seulement 42% au Mali. Il a néanmoins été noté que, spontanément, les répondants ne citent ni les tests de diagnostic rapide pour le paludisme, ni le traitement des formes morbides des maladies tropicales négligées comme conseils prodigués par le projet. De même, très peu de ménages connaissent le nom réel des médicaments ou traitements distribués, sauf pour le paludisme où 61,76% des ménages connaissent la CPS. Le Niger est le pays où les ménages interrogés sont le plus familiarisés avec les médicaments pour les MTN (entre 10 et 20% des ménages). Au Burkina, environ un tiers des ménages ont connaissance des médicaments distribués pour la filariose lymphatique.
Les enquêtes ont consigné une bonne intention comportementale d’acceptation des traitements chimio-préventifs (acceptation par plus de 96% des ménages, d’en utiliser les médicaments). A remarquer, concernant les vers intestinaux, que 100% des hommes dans les trois pays seraient d’accord pour prendre le comprimé, ainsi qu’au Niger et au Burkina Faso pour le trachome. Les taux les plus faibles d’intention comportementale concernent les hommes au Mali (81,3%) et au Niger (88,2%) pour ce qui est de la filariose lymphatique, et les hommes au Mali pour ce qui est de la CPS (88,5%), l’onchocercose (88,2%) et le trachome (88,2%). Ces réponses – positives – des ménages, sont toutefois à nuancer. Comme évoqué précédemment, le projet P/MTN n’est pas le seul à intervenir dans les zones enquêtées. D’autres interviennent depuis de nombreuses années dans le cadre des différents programmes de prévention du paludisme et des MTN, et les ménages ont l’habitude d’entendre des messages sur les moustiquaires et les pratiques d’hygiènes (WASH). De même, les réponses données par rapport à l’impact du projet sur l’amélioration de l’importance qu’ils accordent aux conseils prodigués peuvent apparaître comme des réponses de complaisance pour ne pas « froisser » les projets qui font les études d’évaluation. Ce niveau de satisfaction élevé est également dû au fait que les médicaments distribués sont gratuits. Les taux d’intention comportementale chez les femmes dépassent les 90% pour tous les médicaments et dans tous les pays.
Cette réception favorable se traduit selon le modèle trans-théorique de J.O Prochaska, C. C DiClemente et J.C Norcross (1992) [7] du changement de comportement, par une forte intention comportementale. Selon ce modèle, les résultats ci-dessus ont permis d’identifier plusieurs déterminants de cette acceptation.
Le plus notable est le franchissement des barrières structurelles par : la disponibilité, l’accessibilité et la gratuité des services (qui encourage plus de 80% des ménages à l’acceptation des traitements):
« Le travail des distributeurs a permis de réduire considérablement le taux de mortalité chez les enfants et cela a contribué à améliorer la santé des femmes enceintes grâce aux suivis gratuits (…) Quand il n’y avait pas la distribution gratuite des médicaments du palu, si un enfant tombait malade, les parents vendaient leurs animaux pour le soigner mais maintenant ce n’est plus le cas grâce à cette distribution de médicaments » (acteurs micro primaire/secondaire, FGD adultes, site 2, Toma ; Chef de village de Tillim dans le département de Téra, Niger).
Le second déterminant notoire est l’efficacité perçue des traitements chimio-préventifs. En moyenne, au niveau régional, 62,98% des ménages estiment que les traitements préventifs contre les MTN sont très efficaces. En ce qui concerne le paludisme, plus de 85% des ménages pensent, dans les trois pays, que la CPS est très performante. Cette perception favorable, qui dénote une forte demande, va jusqu’à conduire certaines mères au Niger par exemple à vouloir aussi, en partageant les comprimés, les administrer aux autres enfants du ménages (de plus de 5 ans) qui n’ont pas le droit à la CPS. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une frange sceptique de la population quant à l’efficacité de la CPS à réduire le paludisme : 22% des ménages ont estimé que les médicaments distribués en campagne CPS ne contribuent pas à la réduction du paludisme.
Le troisième déterminant concerne le fait que les médicaments soient distribués à l’école pour les enfants :
« Les écoles sont des indicateurs fiables de la réussite d’une campagne de distribution médicamenteuse de masse… Nous nous focalisons toujours sur les écoles. Elles concentrent une grande partie de notre cible. Si les tous les élèves sont touchés alors la campagne est à plus de 50% réussie ». (Un PF P/MTN dans le département de Konni, Niger)
Pour la CPS et les traitements médicamenteux de masse pour les adultes c’est le porte-à-porte qui est préconisé. Les femmes du Niger (mères des enfants de 0 à 5 ans) sont satisfaites de cette modalité de distribution qui leur évite de se déplacer et d’attendre dans les centres de santé ou sur la place du village
« Le passage de la distribution médicamenteuse de masse au porte-à-porte a amélioré la couverture et le suivi de la prise. Il a permis aux relais d’avoir l’occasion de mieux expliquer aux bénéficiaires lors des têtes à têtes de distribution, l’importance des médicaments dans la lutte contre les maladies tropicales négligées » (un participant Fg Niger).
Cette opportunité leur permet de vaquer à leurs occupations quotidiennes en attendant l’arrivée du relais.
« On a changé de stratégie de distribution, avant, c’était la stratégie fixe, mais maintenant, c’est le porte-à-porte. » précise un médecin chef. L’avantage de la stratégie de porte en porte est d’atteindre le maximum de personnes. « Quand on fait le fixe, généralement ça coïncide avec les travaux champêtres. Les gens vont s’occuper de leurs champs d’abord et ensuite ils vont venir pour la CPS. Avec la stratégie de porte en porte les agents distributeurs vont dans les maisons vers le soir ou la nuit pour administrer les médicaments ». (Médecin chef, Koro, Mali).
Cette stratégie du porte-à-porte permet l’immersion des agents de santé dans les réalités locales, et assure une meilleure atteinte des catégories sociales concernées. Toutefois pour les catégories de population non touchées par le porte-à-porte et l’école (adultes en travail, enfants déscolarisés), des points fixes de distribution (marché, centre du village) ont été organisés.
Le quatrième déterminant réside dans la confiance que les populations ont dans les prestataires de service, en l’occurrence ceux et celles qui distribuent ou administrent les médicaments:
« J’étais responsable de toute distribution gratuite de médicament dans le village de K et même tous les villages qui relèvent du canton. Le responsable du CSI me confiait tous les médicaments à distribuer. Je connais toutes les maladies et leurs traitements et comment les administrer. Les gens me font confiance parce qu’ils savent que j’ai été à l’école et j’ai reçu plusieurs formations en tant que relais communautaire. En plus je suis un fils du terroir et membre de la famille chefferiale. Les communautés savent que tout ce que je fais c’est pour leur bien… Les populations acceptent de consommer les médicaments sans aucune hésitation, ils avaient entière confiance. Vous savez, tout est une question de confiance… » (Un ancien relais communautaire dans le département de Gaya, Niger).
On note des déterminants, d’ordre psychologique, pour l’acceptation des médicaments et traitements. On mentionnera tout d’abord une première dimension personnelle, la valeur accordée au médicament, le risque perçu par rapport à la probabilité d’attraper la maladie si on ne prend pas le médicament : 40% des ménages pensent qu’il est très fort et 25% pense qu’il est fort. On remarque que la perception du risque est plus forte chez les personnes plus âgées (à partir de 25 ans) et moins forte chez les jeunes (33,2%). Ensuite, les effets secondaires perçus (vomissements, fièvre, fatigue) peuvent constituer une barrière à l’acceptation des médicaments:
« Il y avait certaines familles ici qui avaient peur d’adhérer à la CPS à cause des effets secondaires, mais lorsqu’ils ont compris que le projet prenait en charge l’intégralité des soins en cas d’effet secondaire chez les enfants, ils ont été rassurés et ont finalement accepté de donner les médicaments à leurs enfants » (DTC, Kadiolo, Mali)
Il convient à ce propos de distinguer entre les effets secondaires ressentis et documentés, et les rumeurs sur les médicaments. L’approche de traitement est différente : concernant les effets secondaires, il s’agit de les reconnaître, de les prévenir par l’information et le conseil sur ce qu’il y a à faire et d’en atténuer les conséquences. Concernant les rumeurs du bouche-à-oreille (de mauvais médicaments qui provoqueraient d’autres maladies), il s’agit de les répertorier et de trouver les bons arguments ou les bonnes personnes pour les contrecarrer et éviter qu’ils deviennent une raison de refus. 96,3% des leaders et relais/distributeurs communautaires affirment s’engager pour résoudre les cas de refus de la CPS et 89,4% pour les MTN.
« On se réunit avant la campagne ou pendant la campagne. A travers ce comité de pilotage on a pu gérer vraiment beaucoup de problèmes. Il y a souvent des cas de réticence ou des cas de refus. Il suffit de le dire, il y a souvent un leader religieux qui se porte volontaire pour aller sensibiliser et cela a beaucoup porté ses fruits. Nous avons aussi décidé de traiter gratuitement les effets secondaires que ce soit au CSCom ou au CS » (Mali).
Parmi les mesures prises par les communautés aux fins d’évitement des effets secondaires, ont été envisagées : des après-midis libres après traitement pour les enfants scolarisés, des prises de comprimés préconisées après dîner, le retour au centre de santé pour les enfants fiévreux de moins de 5 ans (sous réserve de la gratuité du soin).
Une seconde dimension, d’ordre psychologique, est la faisabilité ou la facilité ressentie de la prise du traitement : la prise du médicament se fait souvent avant le sommeil de manière à ne pas souffrir durant le jour. Concernant la CPS, si l’ensemble des ménages pensent à 81,7% être capables de prendre la 2ème et 3ème dose, on voit que ce sont les femmes qui estiment avoir les meilleurs connaissances et compétences pour le faire (84,4%), contre 62,7% des hommes. La différence de compétences entre les genres est particulièrement saillante au Mali où les femmes jugent que leur connaissance sur cet aspect est plus basse que leur propre niveau de savoir mais où, comme au Burkina Faso, leur autonomisation de décision semble plus élevée qu’au Niger. On note en effet dans ce dernier pays, la nécessité pour certaines mères, de demander l’autorisation à leur mari pour l’administration des médicaments CPS et MTN. C’est le cas pour le paludisme où plus de 40% des hommes, approuvé par 44% des femmes, estiment que leurs épouses doivent demander l’autorisation d’administrer. Et si 41% des répondantes nigériennes estiment qu’elles peuvent se passer de l’autorisation de leur mari, seuls 17,4% des hommes sont d’accord avec cet aspect.
On note toutefois de nombreux jeux d’influences par rapport à l’acceptation des médicaments, en particulier au Burkina Faso et au Mali : plus de 40% des ménages de ces deux pays s’estiment plutôt influencés par les preneurs de médicaments de masse situés dans leur entourage, et auront le plus de chances d’en prendre eux-aussi lors des prochaines campagnes de luttes contre les MTN. On voit ici la capacité d’un environnement « positif » à agir sur les choix et décisions de ses populations.
Comme nous l’avons vu plus haut, la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services (doublée de l’efficacité perçue des médicaments) sont une condition sine qua non de l’acceptation des traitements de chimio-prévention du paludisme et des MTN, de la demande des TDR et du traitement des formes morbides des MTN. Les activités de communication qui ont contribué à l’amélioration de la qualité des prestations de services sont principalement les activités de renforcement des capacités, mais aussi de coordination, supervision et suivi-évaluation. Pour en mesurer l’impact, l’indicateur de satisfaction des différentes catégories de répondants vis-à-vis de ces services doit être privilégié. Il a été ainsi mesuré à 85% concernant le paludisme, à 74% concernant les MTN et les vers intestinaux, à 60% pour les autres maladies. En ce qui concerne plus particulièrement les relais et distributeurs, 80% des ménages se déclarent très satisfaits de leur attitude, avec un degré de satisfaction légèrement moindre pour les 15-34 ans. De plus la sensibilisation réalisée par le projet constitue son deuxième aspect positif après la gratuité des médicaments distribués. Cette satisfaction des ménages par rapport aux relais et distributeurs communautaires est principalement portée par un déterminant psychologique, le sentiment d’auto-efficacité des relais/distributeurs communautaires : plus de 95% des relais et distributeurs communautaires estiment qu’ils ont été bien formés à respecter les doses de médicaments de masse, à expliquer les intérêts de la CPS et à argumenter en cas de refus ou comment expliquer aux parents comment prendre la CPS, sur quoi dire et/ou quoi faire en cas de refus, d’effets secondaires ou de rumeurs, avec un bémol sur les TDR (50% seulement déclarent y avoir été initiés). Environ 90% disent avoir été initiés à la communication interpersonnelle et à l’art de convaincre. Les données qualitatives vont également dans ce sens:
« J’ai eu des satisfactions sur la communication interpersonnelle, parce que moi-même, je pensais que certains aliments étaient la cause du paludisme. Pour moi, le beurre de karité pouvait donner le paludisme et j’avais même pris mes distances par rapport à cela. Avec les informations données par les agents de santé, j’ai compris que le paludisme est causé uniquement par le moustique. Dans les pays où il n’y a pas de moustiques, il n’y a pas de paludisme dans ces pays. Les radios ne nous donnent pas ces genres d’information. Il faut être auprès d’un agent de santé. Depuis que nous avons vu l’importance de la communication nous avons demandé aux agents de santé de nous rencontrer au moins deux fois par an ». (Tradipraticien, Kadiolo, Mali)
Leurs formations ont surtout contribué à l’augmentation de la confiance en soi, et de leur intelligence émotionnelle avec les ménages. Cette empathie du terrain s’avère compenser fructueusement quelques défaillances sur le terrain.
Les premières défaillances signalées ont concerné un manque d’information et un manque d’explication qui traduit une frustration des populations en matière d’accompagnement pédagogique des traitements:
« Nous ne sommes pas informés à l’avance. Très généralement, c’est le jour où la distribution a lieu que les agents distributeurs viennent nous voir pour dire qu’ils vont donner des médicaments aux enfants. Or, vous savez que la prise de ce médicament demande des préparations, car les enfants ne doivent pas l’avaler sans avoir bien mangé. En plus de cela, normalement, les parents d’enfants doivent être informés pour donner leur aval. Tout ce travail n’est pas fait ». (Directeur d’école, Koro, Mali).
Les populations souhaitent à ce propos un dialogue plus abouti avec les équipes de terrain:
« Quand les agents viennent, ils nous disent qu’ils sont là pour administrer des comprimés à nos enfants pour les protéger du paludisme et c’est tout. Quand on veut poser des questions, certains répondent mais d’autres sont pressés et nous ne comprenons pas tout ce qui se passe ». (FGF, Bara, Ansongo, Mali).
L’on a pu de même consigner certains manques de connaissances techniques, hors paludisme, sur l’origine des MTN, sauf concernant la schistosomiase / Bilharziose. En moyenne, 25% des relais et distributeurs communautaires, et notamment parmi les femmes, avouent eux-mêmes ne pas savoir comment on contracte les maladies tropicales négligées. Ainsi près de la moitié des femmes interrogées, ne connaissent pas l’origine de l’hydrocèle et un tiers n’ont pas de connaissance sur l’onchocercose. Malgré ces lacunes, leur confiance en soi rejaillit sur leur attitude et sur la confiance des ménages. A cet égard le fait que les relais et distributeurs communautaires soient issus (à 90%) des communautés, s’avère être un élément clé de la réussite de leur travail. Enfin, on notera que leur rémunération et la mise à disposition parfois lente des fonds constitue l’un des points sensibles de leurs motivations. Sur les trois pays, environ 20 à 30% des relais et distributeurs communautaires sont insatisfaits par rapport à cet aspect.
Les résistances sociales concernent particulièrement les tests de diagnostic rapide (TDR) et le traitement des formes morbides des MTN. Seuls 40% des ménages, avec beaucoup de désaccord, pensent demander un TDR lors d’une fièvre, avec une légère disparité hommes/femmes : 80% des Maliens et 76 % des Maliennes estiment pouvoir exiger la TDR, contre 51% des hommes et 41% des femmes au Niger. Il semblerait à ce titre que les TDR ne soient pas administrés par les relais communautaires, mais plutôt disponibles au niveau des centres de santé. Il a été rapporté de nombreuses ruptures de stocks, et un manque de confiance en cet outil par les agents de santé, moins prononcé dans les ménages et encore moins auprès des distributeurs relais, qui les préconisent en cas de fièvre, mais dont moins de 50% y ont acquis une formation. C’est au Burkina Faso que les relais/distributeurs communautaires estiment avoir été le plus formés : 70,6% pour les hommes et 55,6% pour les femmes. Une telle faiblesse de la demande s’explique notamment par le manque d’habitude des femmes d’exiger une prestation de service au centre de santé.
La perception générale est que la plupart des malades de formes morbides des MTN ne partent pas se faire soigner : au niveau régional, 50% des personnes interrogées, et 75% au Burkina Faso, pensent qu’aucun malade n’a été opéré et seuls 13% pensent qu’ils ont tous été opérés. Si au moins 72% des districts au niveau régional ont bénéficié d’activités d’opération de l’hydrocèle et du trichiasis, peu de ménages (13,88%) ont cité spontanément les activités curatives comme élément du projet, et 38,9% seulement des ménages estiment que le projet a procédé à des traitements curatifs pour les formes morbides des MTN. Parmi tous les ménages interrogés, seuls 48 % des hommes et 31% des femmes ont entendu parler ou vu des personnes malades des formes morbides des MTN, et 75% des jeunes en-dessous de 24 ans n’en n’ont aucune connaissance. Cette proportion se réduit à 64% chez les répondants entre 25 et 49 ans et à 45,8% chez les répondants de plus de 49 ans.
D’après les leaders communautaires, les principales difficultés que rencontrent les malades des MTN pour leur traitement sont le manque d’argent (43, %), la difficulté de suivre le traitement (38,9%) et le mauvais comportement des agents de santé (21,3%). Mais l’on peut à ce propos s’interroger sur leurs éventuels manques de connaissances quant aux conditions sociales de traitement et de prise en charge des formes morbides des MTN. D’autres leaders communautaires confrontés à des cas d’hydrocèle ou d’éléphantiasis, reviennent sur ces « maladies de la honte », et en évoquent l’histoire humaine et les tragédies d’exclusions qui échappent souvent au technicien de la santé:
« Si l’on doit attribuer quelque chose au projet c’est la renaissance des gens et leur réintégration dans la vie sociale et économique. Nous aussi, en tant que techniciens, nous avons appris beaucoup de choses sur la maladie de l’hydrocèle. Ça été un enseignement pour nous. Pour une hydrocèle il y a toujours beaucoup d’histoire autour et même l’éléphantiasis. Il y a l’exclusion, il y a de problème de couple. Je vais vous raconter un cas de réussite que l’on peut attribuer au projet. A la veille de la campagne, nous sommes allés sur le terrain pour la confirmation des cas. Au cours de ces séances des malades nous sont confiés. Ils disent qu’ils n’ont pas d’enfants, ils ont fait beaucoup de mariages. Parce que les femmes partent toujours. L’un d’entre eux est venu nous remercier après son intervention. Il nous a confié qu’il vient de renaitre, ce qu’il vit c’est une renaissance. C’est un vieux qui avait atteint 60 ans déjà. Tous ces mariages s’étaient soldés par un échec, avec plus de quatre femmes divorcées à cause de cette maladie. Après son opération chirurgicale, il s’est remarié et tout est rentré dans l’ordre ». (Médecin chef, malien Koutiala, Mali).
L’impact social de la maladie n’est pas suffisamment évoqué dans les témoignages, toutefois il engendre la peur et fédère la reproduction de nombreux comportements normatifs :
« Il existe quelques cas d’hydrocèle dans certains villages. Moi-même j’en connais. Mais notre société est très fermée. Ce qui fait que les gens ne vont pas se déclarer. En plus de ça, les gens ont peur de se faire opérer. Pour que les gens adhèrent, il faut que quelqu’un accepte de se faire opérer et le reste suivra. Maintenant, la question est de savoir : qui va être cette première personne ? » (Chef de village, Zegoua, Kadiolo, Mali).
Face au regard des autres et au silence de la société, l’étude a préconisé la nécessité d’une bonne formation des personnels de santé, de l’appropriation communautaire pour identifier les personnes victimes, d’un travail sur la stigmatisation des malades et d’une objectivation de ses véritables causes. Il en a été ainsi conclu à la nécessité d’une meilleure connaissance sociale des formes d’affections sanitaire, et à une différenciation fructueuse entre le sort et la maladie:
« Les gens assimilaient les MTN à des sorts ou à des malédictions mais avec le projet, ils ont compris que ce sont des maladies qui peuvent être prises en charge comme les autres. Pour le paludisme, les gens avaient des stéréotypes. Ils pensaient que c’était les mangues non mures, l’alimentation, mais avec les sensibilisations ils ont compris que ce sont les moustiques qui amènent le paludisme ». (Médecin Chef (MDC), site 1, Ouahigouya, Burkina Faso)
La mobilisation sociale et la participation communautaire jouent un rôle déterminant dans les traitements et dans la prise de médicaments. Elles concernent tout autant les comportements individuels des bénéficiaires, que ceux des distributeurs et relais communautaires, ou des leaders, « gardiens » de la communauté, qui établissent le lien avec les autorités sanitaires. Leur engagement est unanime dans les trois pays. Il est de 100% pour la CPS et les MDM contre les vers intestinaux, et en moyenne de 98,96% pour l’ensemble des MTN. Il peut également être évalué à partir de l’indicateur de soutien aux campagnes de distribution des médicaments de masse pour la résolution des cas de résistance et de refus. L’un des déterminants de cet engagement des leaders et distributeurs communautaires réside dans leur conviction de la qualité et de l’efficacité des médicaments distribués pour réduire le taux des maladies. À titre d’illustration, rappelons que pour la CPS au Mali et au Niger, environ 9 leaders sur 10 sont très satisfaits de la qualité des médicaments distribués, et 8 sur 10 au Burkina Faso. Concernant les MTN, le niveau est moindre dans les 3 pays : 76,2% des leaders sont très satisfaits au Niger, 72% au Burkina Faso et seulement 66,7% au Mali. Leur niveau de satisfaction par rapport à la quantité des médicaments reste plus bas : concernant la CPS, ils sont en moyenne très satisfaits à 77,6%, mais au Mali ce taux tombe à 66,7%. Cette insatisfaction n’est pas liée au médicament lui-même. Elle renvoie d’une part à une insuffisance de médicaments de la CPS ou contre les MTN, et d’autre part au souhait que tous les enfants de plus de 5 ans puissent aussi en bénéficier. Par contre, parmi les moindres réussites figure la sensibilisation sur les effets secondaires.
Il est à noter que ces leaders ont besoin d’être impliqués dès l’étape de conception et de préparation des campagnes de distribution pour en comprendre les tenants et les aboutissants, co-définir leur rôle, discuter des éventuels obstacles, co-décider des mesures de mitigation à prendre et « traduire » selon leurs propres modalités, le plus souvent avec les crieurs publics, la manière dont ils vont engager les communautés. A cet égard leur niveau de participation à la préparation des campagnes CPS et MDM pourrait être amélioré : si environ 80% des leaders communautaires au Mali et au Niger estiment avoir participé aux préparatifs des campagnes de distribution, ils ne sont que 60% concernant la CPS et 44% concernant les MTN au Burkina Faso. Cette participation des leaders communautaires aux campagnes et surtout leur implication dans la résolution des problèmes leur permettra d’établir une meilleure liaison avec les autorités sanitaires et de trouver des solutions locales adaptées.
En termes de communication, la mise en place de moyens accrus et de politiques en faveur de la lutte contre les MTN et le paludisme a été l’objectif des activités de mobilisation sociale et de plaidoyer proposées par le projet. Les leaders et relais/distributeurs communautaires ont donné leur point de vue sur cet aspect. Tout d’abord, en ce qui concerne la mise à disposition des fonds en temps utile, on note quelques disparités de pays. Si 80% des relais et distributeurs du Mali et du Niger sont plutôt d’accord sur la rapidité de la mise à disposition des fonds en temps et en heure, 17% de ceux du Burkina Faso ne sont pas du tout d’accord et beaucoup, rejoints par les chefs traditionnels (à 38%), n’en sont pas informés.
En matière de plaidoyer, il est ressorti de ces enquêtes, la nécessité de renforcer la visibilité des thématiques de communication à travers les médias, dans des rencontres entre les parties prenantes, tout en s’appuyant sur des données factuelles, des histoires de changements face à l’impact des politiques mises en œuvre. Les destinataires de ces actions sont les décideurs gouvernementaux, non-gouvernementaux et internationaux, ainsi que les décideurs locaux selon leurs besoins et leurs difficultés. La base de telles actions s’appuie sur la disponibilité des données. L’étude engagée a montré en ce sens que des indicateurs du suivi-évaluation des activités existent bel et bien. Toutefois les entretiens conduits au niveau macro avec les experts techniques et en communication ont fait ressortir que ces indicateurs ne sont pas suivis. Outre un mélange entre les niveaux de résultats (les indicateurs d’activité et de processus sont mis au même niveau que les indicateurs d’effets), et bien qu’il existe des objectifs quantifiables, les opérateurs manquent d’une situation de référence et d’une méthodologie pour mesurer l’atteinte des résultats escomptés à mi-parcours et en fin de projet. La visibilité du projet est certes plus grande au niveau des acteurs macro, mais elle diminue considérablement lorsque l’on descend aux niveaux méso et micro, où elle se noie dans la multitude des projets existants sur le terrain, d’où la confusion des acteurs communautaires sur les apports du projet.
« Les supports de communication ne nous arrivent pas à temps et sont insuffisants… des fois c’est après la campagne que les outils arrivent… Heureusement qu’il y a d’autres partenaires qui interviennent dans le même cadre… Les relais utilisent les outils mis à leur disposition par les autres partenaires pour sensibiliser » (un Point Focal (PF) MTN dans le département de Mayahi, Niger).
Il n’en ressort pas moins que la présente étude a fait remonter de nombreux témoignages positifs d’acceptation des traitements, et de changements, sur la base des engagements communautaires. Il importe désormais d’en organiser la communication. En ce sens, les trois pays ont déjà mis en place, à travers des comités de pilotage, une coordination entre les acteurs macro, méso et micro afin de faciliter la planification de terrain, l’identification et la résolution des problèmes. Reste cependant que le niveau de participation des leaders communautaires aux campagnes CPS est disparate (60% pour le Burkina Faso contre 88% au Mali et au Niger), et que les communicateurs déplorent régulièrement l’absence de moyens pour une supervision adéquate des activités de communication.
Il est ressorti des enquêtes que les objectifs du projet ont été atteints, avec une forte intention comportementale des populations cibles quant à la prise des traitements chimio-préventifs pour le paludisme (98,6%) et les maladies tropicales négligées (96,34%), un fort engagement communautaire en faveur des campagnes de distributions, une bonne amélioration de la qualité de la prestation de services et la mise en place de moyens accrus et de politiques en faveur de la lutte contre le paludisme et les MTN. Les déterminants comportementaux et sociaux majeurs dans l’atteinte de ces objectifs concernent d’une part la réduction des barrières structurelles : la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services (gratuité, efficacité perçue, distribution en porte-à-porte ou à l’école, confiance dans des prestataires de service proactifs, disponibilité des fonds et reconnaissance par les autorités gouvernementales). Ils concernent d’autre part les déterminants psychologiques et sociologiques : intérêt de l’individu eu égard aux risques perçus et aux effets secondaires, attitude des bénéficiaires vis-à-vis des traitements proposés, auto-efficacité des personnes dans la prise de médicaments, influences de genre lorsque le mari – Niger par exemple – doit ‘autoriser’ préalablement sa femme à donner un médicament à ses enfants, stigmatisation sociale de certaines formes morbides). Ils concernent enfin les dynamiques communautaires et l’environnement communicationnel : l’appropriation, la coordination et la participation de la communauté à travers un leadership de qualité et l’auto-efficacité collective, notamment pour gérer l’ensemble des effets secondaires, la disponibilité d’informations factuelles et scientifiques à travers les médias et le matériel proposé, puis pour faire face aux rumeurs. Pour la CPS en particulier, la quasi absence de barrières structurelles renforce des facteurs psychologiques et sociologiques majoritairement positifs. Concernant les MTN, l’image est plus contrastée, bien que les déterminants psychologiques et sociologiques afférents aux médicaments de masse soient majoritairement positifs (au-dessus de 80%). Du fait du moindre risque considéré de contacter une MTN, l’efficacité perçue des médicaments y est également moindre, à 63%. Au niveau des barrières structurelles, le projet doit son succès principalement à la gratuité des médicaments et à la confiance accordée aux distributeurs et relais communautaires. Les lacunes à combler demeurent au niveau des effets secondaires ou supposés très dépendants des rumeurs et des influences des proches sur les modalités d’acceptation des médicaments de masse. Il revient à ce propos aux relais et distributeurs d’assurer des explications, et donc de voir renforcer leurs capacités et leurs connaissances sur les MTN, afin qu’ils puissent continuer leurs actions positives. Enfin en matière de traitement des formes morbides des MTN, en voie de disparition, le vécu des bénéficiaires s’en éloigne, et seuls 34% des ménages connaissent l’existence de cette prestation du projet. Ainsi, l’hypothèse de départ, à savoir l’efficacité perçue des médicaments comme condition nécessaire à leur acceptation, est certes confirmée, mais d’autres déterminants, tels que décrits ci-dessus, entrent en ligne de compte.
Le modèle théorique utilisé pour la mesure de l’effet de la communication pour le changement comportemental et social, le modèle des déterminants comportementaux, est bien adapté pour identifier les déterminants qui ont le plus d’impacts sur l’intention comportementale. Cette approche permet d’avoir une approche plus différenciée et au-delà des connaissances et des attitudes pour voir comment les différents déterminants s’articulent, pour comprendre la situation et identifier les éléments sur lesquels intervenir. Les résultats rejoignent ceux d’autres évaluations, notamment relativement à la nécessité de traiter les rumeurs systématiquement : dans un article de 2013 sur la revue des facteurs influençant l’acceptabilité des TDM pour l’élimination de la FL, les auteurs concluent que les conceptions négatives et les mauvaises informations sur le TDM diminuaient l’acceptance des traitements (Krentel, & al., 2013) [8]. Dans une autre étude de la même auteure de 2006 en Indonésie (Krentel & al., 2006) [9] il est démontré qu’informer précisément les communautés avant chaque campagne de TDM sur les effets secondaires contribue à augmenter le taux d’acceptation. Ces informations doivent être simples, concises et précises: il n’est pas nécessaire d’expliquer le cycle de transmission des maladies, ni les signes cliniques, mais simplement les noms des maladies, le traitement administré, les effets secondaires possibles et l’importance d’une couverture totale des personnes concernées. Concernant les effets secondaires toujours, les recommandations sont de traiter les rumeurs immédiatement, et de veiller qu’un agent de santé reste au moins les deux premières nuits après le traitement pour gérer les éventuels effets secondaires.